Les bases indispensables à la prise en charge du coccyx douloureux

Si la première description d’une douleur du coccyx, attribuée à une fracture, est due à Ambroise Paré, chirurgien français du 16ème siècle, c’est à Simpson que l’on doit le mot coccygodynie (1859). Cette affection a donné lieu à de nombreux travaux, mais est restée longtemps mystérieuse. Le recours aux clichés dynamiques, décrits par nous-mêmes en 1992, a permis de mieux comprendre les différentes causes possibles de cette affection et leurs symptômes particuliers et d’envisager un traitement rationnel. 

JY Maigne

Les clichés dynamiques, base de nos recherches, ont permis une meilleure compréhension de la bio-mécanique du coccyx et de sa pathologie. 

La compréhension de la bio-mécanique coccygienne permet de répondre à la question « à quoi sert le coccyx ? » Pour répondre à cette question, deux paramètres doivent être pris en

 compte : la forme (longueur et courbure) et le mouvement lors du passage en station assise (en extension, en flexion ou nul). D’une façon générale, les coccyx droits et courts, lorsqu’ils sont soumis à de trop fortes contraintes, se luxent, du fait de l’absence de mobilité naturelle en extension. Inversement, les coccyx allongés et courbés peuvent fléchir pour absorber les contraintes. Ce n’est qu’au delà d’un certain seuil que survient l’hypermobilité, qui n’est que l’exagération d’un phénomène normal de flexion. Un coccyx dépourvu de mobilité devient potentiellement agressif car il peut frotter sur les tissus sous cutanés lors de la station assise (si un spicule est présent). Le « bon » coccyx est donc long, courbe et légèrement souple. Il prolonge naturellement la courbure du sacrum. Il est l’organe de transition entre ce dernier, qui est un bloc rigide, et la peau périnéale, souple et fragile. Il rend donc la station assise (qui n’existe que chez l’Homme) plus confortable. 

 

L’étude de sa pathologie permet de constater, comme l’avait entrevu Howorth, que les lésions à l’origine de la coccygodynie sont, dans leur majorité, des lésions semblables à celles qui frappent les articulations périphériques, et non des problèmes psychiatriques désobligeants pour le patient. 

JY Maigne


 

Le coccyx est formé de une à quatre pièces osseuses réunies entre elles par des ligaments et des articulations. C'est le reliquat de la queue des mammifères. Son nom lui vient d'Hérophile, médecin grec (330-260 av JC) qui, ayant vécu à Alexandrie, put observer sa ressemblance avec le bec de Clamator Glandarius, le coucou égyptien. Coucou se dit kokkyx en grec. Ainsi fut il baptisé.

 

JY Maigne


Disposition générale

Les pièces osseuses sont d'une longueur totale de 1 à 5 cm. La première présente des apophyses transverses et ses deux cornes représentent les processus articulaires supérieurs. Il y a une, deux, trois ou quatre vertèbres coccygiennes, dans respectivement 7%, 54%, 34% et 5% des cas. La forme générale du coccyx continue la courbure sacrée. Il existe des coccyx presque verticaux qui correspondent à des sacrums plutôt plats, des coccyx plutôt horizontaux qui correspondent à des sacrums très courbes et parfois des coccyx dits “en crochet” ou en "hameçon", c'est à dire remontant vers le haut, mais qui ne présentent pour nous aucun caractère pathologique. En effet, plus l’angle entre le sacrum et le coccyx est faible, plus le coccyx est protégé des traumatismes car il est “abrité" par le pelvis.

Articulation

Il y a peu d'information sur l’anatomie du coccyx dans la littérature. Selon Gray, les articulations sacro-coccygiennes sont de petits disques inter-vertébraux très minces, constitués de fibrocartilage et les articulations inter-coccygiennes peuvent être soit des articulations synoviales, soit des disques.2 En examinant neuf coccyx de sujets âgés provenant de cadavres frais, nous avons trouvé que l'articulation sacro-coccygienne était discale dans un cas, synoviale dans quatre cas et intermédiaire dans les quatre derniers cas, l'articulation étant constituée d'un disque parcouru d'une fente plus ou moins importante, parallèle aux plateaux et bordée soit de fibres annulaires soit de cellules synoviales.3 Cet état intermédiaire ne fut pas trouvé dans les articulations inter-coccygiennes. On ne sait pas si la même distribution aurait été trouvée chez des individus plus jeunes, ce qui revient à poser la question de savoir si cette fente progresse au cours de la vie sous l’effet des contraintes mécaniques, le disque évoluant progressivement vers une articulation synoviale chez une même personne. Les articulations synoviales autorisent plus de mobilité que les disques. Un quatrième type existe sous forme d'une ossification complète de l’articulation sacro-coccygienne. En étudiant deux populations différentes, la fréquence des ossifications était respectivement de 22 et 68 % des cas.4 Chez quelques-uns de nos patients, c'est le coccyx complet qui est ossifié.

JY Maigne

Les trois types d'articulations


A gauche, disques.

Au centre, formation intermédiaire avec apparition d’une fente transversale

A droite, articulation synoviale (comme celle d’une phalange par exemple).

 

Dans d'autres cas, il n'y a pas de disque mais une articulation de type synovial, avec un revêtement de cartilage, qui permet une mobilité plus importante. Notre impression (J-Y Maigne) est que ce type d'articulation est plus fréquemment rencontrée chez les patients souffrant de coccygodynie que chez des sujets sains. La raison serait qu'une mobilité plus marquée est une source d'usure

 

Une découverte intéressante de nos dissections était que dans certains cas, l'articulation était une structure intermédiaire entre disque et articulation synoviale. Plus précisément, il y avait une fente intra-discale bordée de cellules synoviales, bien visible sur cet échantillon. Une question vient immédiatement à l'esprit : le type d'articulation (discale, intermédiaire ou synoviale) est il déterminé à vie chez un individu donné, ou bien y a t'il un changement continu et progressif du disque chez le plus jeune à une articulation synoviale chez le plus âgé, via l'apparition d'une fente qui vient séparer le disque ? Un tel phénomène existe au niveau du disque cervical.

Articulations synoviales

Vue latérale droite. Une articulation synoviale permet une plus grande mobilité en flexion extension


Mobilité

Les mouvements physiologiques du coccyx sont des mouvements de flexion et d'extension. La flexion active (mouvement vers l'avant) est liée à la contraction des releveurs de l'anus et du sphincter externe. L'extension (mouvement vers l'arrière) est liée à la relaxation de ces muscles et à l'augmentation de la pression intra-abdominale qui survient lors de la défécation et de l'accouchement. C'est toujours un mouvement passif. Les mouvements du coccyx en position assise n'avaient jamais été étudiés dans la littérature à notre connaissance. Il s'agit soit de flexion (déplacement vers l’avant), soit d'extension (déplacement vers l’arrière) par rapport à une position neutre en station debout, soit d’une absence de mobilité. Lorsqu’il y a mouvement, sa direction est déterminée principalement par l’incidence. Nous avons décrit l’incidence du coccyx comme l’angle que fait le coccyx avec le siège lorsqu’il entre en contact avec lui dans le mouvement de s’asseoir. Lorsque l’incidence est faible, le coccyx tend à se présenter parallèlement au siège. Il est alors poussé vers l’avant et le haut (en flexion) par le siège lui-même. Lorsque l’incidence est élevée, il a tendance à se présenter plutôt perpendiculairement au siège. Il est alors poussé vers l’arrière en extension, par l’augmentation de la pression intra-pelvienne. L’incidence est elle-même liée à la forme du coccyx et à la rotation pelvienne sagittale. Les coccyx à incidence faible sont des coccyx courbes et longs (plus de deux vertèbres). Au contraire, les coccyx droits et courts ont une incidence élevée. La forme du coccyx peut être décrite en quatre stade du plus droit (type I) au plus courbe (coccyx en crochet, type IV) selon la classification de Postacchini et Massobrio  ou en mesurant l’angle inter-coccygien9 ou l’angle sacro-coccygien (Maigne), formé par l’intersection de l’axe du coccyx et de S4. Plus ce dernier est proche de 180°, plus le coccyx est droit et plus il est proche de 90°, plus il est courbe. L’incidence est liée à un autre angle : la rotation pelvienne sagittale. Cet angle mesure la rotation du pelvis lors du passage de debout à assis. Cette rotation accompagne une diminution de la lordose lombaire. Lorsqu’elle est élevée (jusqu’à 60°), l’incidence est faible. Il s’agit en général de sujets dont l’indice de masse corporelle (IMC)* est normal ou bas. Lorsqu’elle est faible (moins de 30°), l’incidence est élevée. Il s’agit en général de sujets dont l’IMC est élevé (>27). On peut considérer que le volume de leur pelvis limite ses mouvements naturels de rotation. D’autres facteurs peuvent limiter cette rotation, en particulier une perte de mobilité de la charnière lombo-sacrée (discopathie, séquelle de discectomie, arthrodèse) ou, plus simplement, un siège haut. L’hyperlaxité ligamentaire, un siège bas l’augmentent. Ces facteurs peuvent avoir une influence sur le déclenchement de la douleur coccygienne. L’absence de mouvement lors du passage en position assise peut être attribué à une ossification des articulations du coccyx ou à la présence d’articulations de type discal. Le coccyx de l’homme est en général moins mobile que celui de la femme.

 

* L’indice de masse corporelle se calcule par la formule suivante : IMC = poids (en kg) divisé par la taille (en m) au carré.

JY Maigne