Bientôt débutera, en France, l’expérimentation du cannabis médical. Une perspective qui insuffle de l’espoir, beaucoup d’espoir chez de nombreux malades, notamment ceux souffrant de douleurs rebelles. Cette espérance est-elle raisonnable ?

Le chanvre – cannabis en latin – est l’une des premières plantes domestiquées par l’homme ; son usage psychotrope est attesté, en Chine, dès 2500 av. J.-C. Pour-tant, depuis cinq ans, le « cannabis thérapeutique » est présenté comme un médica-ment du futur dans la douleur. Comment se fait-il que l’on découvre, avec plus de quatre mille ans de retard, les vertus antalgiques de ce végétal ? Cela alors que le pavot dont l’incision des capsules donne un suc – opium en grec – laiteux aux propriétés analgésiques appréciées depuis la haute Antiquité.

Pourquoi une drogue aussi ancienne et connue que le cannabis n’a pu être, jusqu’à présent, proposée dans une affection aussi fréquente que la douleur ?

À vrai dire, il est fait mention du chanvre indien dans la pharmacopée occidentale du XIXe siècle, mais essentiellement dans la douleur aiguë. L’ivresse et l’assoupissement qu’il procure sont d’ailleurs proches de l’alcool. Au sujet de cet autre analgésique végétal, le chirurgien lyonnais de la Révolution, Marc-Antoine Petit, déclarait « le vin a toutes les qualités et tous les dangers de l’opium, il peut donc être administré dans tous les cas où l’opium semblerait convenir ». Tout comme la morphine, un consensus médical existera, jusqu’il y a peu, pour ne pas prescrire ces subs tances, en raison de leurs potentiels effets addictifs, dans la douleur chronique non cancéreuse.

 

Profitables à de rares patients

En 2015, une analyse reprenant onze études ayant comparé les cannabinoïdes à un placebo a démontré « un effet analgésique modeste » dans la douleur chronique non cancéreuse. Difficile de savoir si ce faible bénéfice est à mettre au crédit des effets anxiolytique et hypnotique du produit ou d’une véritable antalgie. Parmi les composants de la plante le THC, psychotrope considéré comme stupéfiant, est à l’origine des effets relaxants tandis que le CBD serait responsable des vertus antidouleurs. Dans la pratique clinique, on peut considérer que le cannabis profite à de rares patients : ceux souffrant de douleur liée à une lésion du cerveau ou de la moelle épinière associée à une spasticité, comme dans la sclérose en plaques.

Ces résultats modestes expliquent mal le bouillonnement autour du cannabis médical et cette demande devient de plus en plus pressante auprès des généralistes ou des centres, souvent saturés, de douleur chronique. Il est vrai que depuis 30 ans aucun antidouleur n’a vu le jour et les progrès sont venus essentiellement des traitements locaux, tels certains emplâtres ou injections de toxines botuliques, et les avancées de la neuromodulation avec la stimulation médullaire ou transcrânienne. L’attente est donc énorme face à ce fléau de la douleur chronique qui touche 12 mil-lions de Français.

 

 

Un business en explosion

Le cannabis récréatif (ou « bien-être ») est un enjeu sociétal important et un business qui explose. Le marché mondial pourrait être multiplié par 2,5 d’ici 2022 et représenter 63 milliards de dollars pour les seuls États-Unis. Les « Majors » du tabac, de l’alcool et de la pharmacie lorgnent donc sur la Marijuana. Les moyens mis à disposition du lobbying du cannabis vont croissant et, avec eux, la pression médiatique pour la légalisation. En avril 2019 le « Syndicat national du Chanvre bien être » est devenu « Syndicat national du chanvre » preuve que les mondes du cannabis « récréatif » et « thérapeutique » ne sont pas totalement étanches. Dans ce contexte, la tentation peut être grande de s’appuyer sur les millions de patients douloureux chroniques pour servir le développement de ce commerce : les consommateurs réguliers de cannabis récréatifs étant dix fois moins nombreux (1,2 million).

Sur ce sujet délicat, l’Agence National de Sécurité du Médicament (ANSM) adopte une approche qui se veut prudente avec ce projet d’expérimentation sur « l’évaluation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France ». Il ne s’agira pas de « joints sur ordonnance » mais la mise à disposition de formes multiples : médicaments à effet immédiat (sublinguale ou vaporisé) ou prolongé (solutions buvables, capsules d’huiles…) cela avec plusieurs déclinaisons du ratio THC/CBD. Seront concernés les patients souffrant de douleurs neuropathiques réfractaires, certaines formes d’épilepsie résistantes, les symptômes rebelles en oncologie (nausée, anorexie), les situations palliatives ou la spasticité douloureuse.

 

 

Un risque de désenchantement

Avec environ 3000 volontaires inclus, cette expérimentation s’expose à susciter profusion de déçus, car des centaines de milliers de malades sont potentiellement concernés par ces indications. Un désenchantement qui risque d’être partagé par les scientifiques : avec tant de forme de cannabis, tant d’indications et en l’absence de bras placébo il est improbable que des preuves robustes émergent, enfin, sur l’efficacité – ou non – de cette plante.

  

 

Ainsi conçue, cette phase d’expérimentation risque d’être un formidable « teaser » aux conclusions inexploitables. Certains pourront s’en frotter les mains.

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